Approche et indicateurs écosystémiques, vers des outils pour l’évaluation de l’état de conservation des habitats marins communautaires
Constituant l’un des piliers de la DCSMM , l’approche écosystémique est un concept qui vise à prendre en compte les écosystèmes et leur fonctionnement de façon intégrée, pour leur conservation dans un contexte d’utilisation durable par l’Homme.
Ainsi actuellement, une gestion efficace des Aires Marines Protégées (AMP) en Méditerranée va de pair avec l’utilisation de protocoles et d’outils spécifiques, tels que les indicateurs de type EBQI , qui permettent à la fois de mieux comprendre le fonctionnement et le statut des habitats naturels, tout en constituant des aides à la prise de décision.
Si ces indicateurs ont été développés antérieurement au programme LIFE Marha, c’est dans le cadre de ce dernier qu’ils ont pu être mis en œuvre et testés à l'échelle de la Méditerranée française, afin de déterminer l'état écologique d’habitats spécifiques : l’herbier à Posidonia oceanica, le coralligène, les grottes sous-marines et l’infralittoral rocheux à algues photophiles.
Leur principe ? Prendre en compte les principaux compartiments fonctionnels d'un écosystème en les évaluant à partir d'un certain nombre de paramètres simples.
On pourrait presque comparer l’EBQI à une recette : il permet de déterminer quels sont les ingrédients, en quelles proportions, avec quel degré de confiance vis-à-vis de leur provenance, et quels sont ceux dont on pourrait améliorer le goût pour perfectionner celui du plat final.
Mais l'EBQI va plus loin qu'une évaluation environnementale, puisqu'il cherche aussi à répondre à la problématique suivante : comment concilier l’expertise scientifique à une collecte significative de données sur le terrain ? Autrement dit, il s’agit de proposer des outils opérationnels mais suffisamment robustes d’un point de vue scientifique.
Comment calculer un EBQI ?
La première étape consiste à établir un modèle conceptuel, sous forme d'un schéma. Pour cela, les groupes fonctionnels d'un écosystème, appelés compartiments fonctionnels, sont définis (à partir de dires d'experts, de connaissances et littérature disponibles), ainsi que les relations entre les différents compartiments.
Ces derniers sont ensuite pondérés : un poids est attribué vis-à-vis de leur rôle et importance au sein de l'écosystème étudié. Cette pondération a été définie par des dires d'experts, spécialistes de l'environnement, au cours d'ateliers de rencontres et d'échanges.
Au sein de chaque compartiment, plusieurs paramètres sont ensuite déterminés. Comparables à des critères d'évaluation, ces paramètres permettent d'évaluer l'état écologique du compartiment, sur une échelle de 0 à 4 (0 = mauvais état, 4 = très bon état).
La troisième étape se traduit par l’attribution d’un indice de confiance (IDC) pour chacune des valeurs obtenues pour chaque compartiment évalué. L'IDC d'un compartiment est pondéré par le poids de ce dernier ; il est compris entre 0 et 4, suivant la fiabilité des données.
Une fois les compartiments fonctionnels, leurs paramètres et l'indice de confiance final définis, il devient alors possible de calculer l'EBQI. Pour cela, tous les statuts pondérés de tous les compartiments étudiés sont additionnés ; cette somme est ensuite divisée par la somme maximale réalisable. Par convention ce rapport est converti en note sur 10.
On obtient une valeur d'EBQI comprise entre 0 et 10, associée à un IDC, qui permet de connaître l'état général d'un écosystème, et de comprendre sur quels compartiments agir en particulier. Il devient alors possible d'établir un lien entre l'état d'un compartiment avec une ou plusieurs pressions, facilitant ainsi une gestion adaptée et efficace du milieu. Par exemple, si les compartiments relatifs au peuplement de poissons sont catégorisés comme mauvais (faible biomasse de piscivores), on peut supposer que ce résultat est lié à une pression de prélèvement par la pêche. Dans ce contexte, des mesures de régulation de la pêche pourraient être envisagées.
Entre 2019 et 2021, le GIS Posidonie a pu former les agents du Parc naturel marin du Golfe du Lion (PNMGL) et de la Réserve Naturelle Marine de Cerbère-Banyuls (RNMCB) à l’application de l’EBQI. Le PNMGL s’étend sur une superficie de 400 000 ha, la RNMCB, au sein du Parc, correspond à une réserve intégrale de 65 ha, entourée par 600 ha de réserve dite partielle, dans laquelle les activités sont régulées voire interdites.
La formation des agents a eu lieu en trois temps : une première phase d’initiation théorique et pratique à l’approche écosystémique et aux protocoles EBQI (juin 2019) ; une deuxième étape de présentation de la base de données aux gestionnaires, sous la forme d’une rencontre en visio (2020) ; la troisième étape consistait en une nouvelle formation, axée sur les difficultés rencontrées par les gestionnaires concernant quelques descripteurs particuliers notamment sur le coralligène (2021). À l’issue de cela, les agents des AMP étaient aptes à collecter les données et calculer l’EBQI pour trois écosystèmes (herbier à Posidonia oceanica, roche infralittorale à algues photophiles, coralligène).
La formation a également été l’occasion pour les agents et le GIS Posidonie de réaliser plusieurs EBQI ; au total, 29 sites ont été échantillonnés : 8 sites à herbiers de Posidonia oceanica, 10 sites à roches infralittorales et 11 sites coralligènes.
Globalement, les sites échantillonnés en-dehors de la Réserve marine arboraient un statut médiocre ou intermédiaire, en partie lié à une faible biomasse de poissons carnivores et piscivores. L’EBQI met donc en avant l’efficacité de l’effet réserve de la RNMCB. À titre d’illustration, la biomasse en poissons est plus importante au sein de la réserve, la pression de prédation sur les oursins serait donc plus intense qu’en-dehors de la Réserve. Ce constat montre une fois de plus l’intérêt de la conservation et des AMP pour le maintien de la qualité des écosystèmes. Les données acquises par le PNMGL et la RNMCB sont d’ailleurs directement exploitées dans le cadre du projet d’extension de la réserve.
Perspectives
Dans le cadre de Marha, l'objectif est de tester et d'améliorer les méthodes d'application de l'EBQI ; en ce sens, les retours des gestionnaires sont précieux, puisqu'ils permettent d'identifier des pistes d'amélioration. L'objectif principal est de proposer des indicateurs opérationnels (simples et rapides à mettre en œuvre), pour un déploiement adopté à une plus grande échelle. L'intérêt est de fournir un outil d'aide à la décision pour la gestion des habitats marins, à la fois à l'échelle de l'aire marine protégée et de la façade méditerranéenne française.
Sur la base des descripteurs permettant le calcul de l’EBQI, il sera possible d’évaluer de façon cadrée l’état de conservation au sens de la Directive Habitats.
Par ailleurs, les indicateurs EBQI ont été développés dans le contexte de la Méditerranée nord-occidentale. Il serait intéressant de développer ces méthodes dans des contextes biogéographiques différents, dans les régions du sud et de l'est de la Méditerranée (abondance d'espèces exotiques envahissantes, température moyenne plus élevée, hyper-oligotrophie, pressions anthropiques différentes). Plusieurs travaux récents ont d’ailleurs appliqués l’EBQI en Grèce, Chypre ou encore Israël (Güreşen et al., 2020 ; Bevilacqua et al., 2020 ; Digenis et al., 2022 ; Savin et al., 2023 ; Nikolaou et al., 2023).
En effet, l'approche écosystémique présente l'avantage de pouvoir s'appliquer à n'importe quel écosystème, qu'il soit marin, lagunaire et même terrestre. À titre d'exemple, un indice EBQI a récemment été développé pour les fonds détritiques côtiers (Astruch et al., 2023). Un autre indice du même type a même été développé en dehors de la Méditerranée, dans le golfe du St-Laurent, au Canada au niveau des zones côtières peu profondes de la Baie de Sept-Iles (Ferrario et al., 2021).
Le GIS Posidonie a présenté des premiers résultats sur les données EBQI dans le Golfe du Lion dans le cadre du Symposium international sur les habitats méditerranéens clefs à Gênes (Italie) en septembre 2022 ; d’autres résultats préliminaires, à échelle de la façade méditerranéenne française, ont également été exposés en février 2023 à Vancouver (Canada) lors du colloque IMPAC5.