Les équipes du Life Marha à IMPAC 5
Des échanges franco-québécois fructueux
Les 2 et 3 février, les équipes de gestion des AMP des deux territoires se sont rencontrées dans le but de partager questionnements et solutions sur les problématiques de concertation et gouvernance ainsi que sur la surveillance.
La concertation menée au Québec nous montre que si la démarche peut-être longue, elle est extrêmement respectueuse, et permet ainsi des stratégies robustes et durables. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les choix ne sont pas moins ambitieux, à l’exemple des périmètres d’interdiction des arts trainants dans le golfe du Saint-Laurent pour le respect des habitats fragiles (coraux, éponges et pennatules), négociés avec les pêcheurs. Des échanges pourraient être initiés entre pêcheurs français et québécois pour lever les blocages sur ces sujets en France.
L’implication des communautés locales est également très avancée, et les nouvelles AMP en cours de création sont toutes cogérées entre l’Etat fédéral ou la Province et la Communauté autochtone concernée. Là encore, nous aurions sans doute fort à nous inspirer de ce modèle qui permet une large appropriation des sujets.
De ces échanges il ressort que si le Québec est très avancé sur le suivi des usages et des suivis de la mégafaune marine (16 espèces de mammifères dans le Saint Laurent) très peu de suivis sont opérés sur les habitats benthiques à l’inverse de la France.
Nous avons donc beaucoup à apprendre respectivement, chacun ayant développé ses propres suivis stratégiques. Les tableaux de bord utilisés de part et d’autre de l’Atlantique ont été comparés, apportant des sources d’inspiration et d’amélioration pour chacun. Par exemple, celui du parc marins du Saguenay-Saint-Laurent présenté ci-dessous fait une large place à l’approche sociologique là où nos tableaux de bord reposent grandement sur les approches biologiques.
Les zones de protection forte
Comment concilier une réelle protection et des usages durables ?
Peut-on considérer qu’une Zone de protection forte peut être exploitée ?
Les niveaux de protection ont été au cœur des échanges. Alors que les britanniques viennent d’annoncer la fermeture de la plupart de leurs AMP aux arts trainants, et que les Canadiens annoncent engager la démarche équivalente, enclenchant un élan de protection en réponse aux constats alarmants et aux engagements internationaux, la France se pose encore la question de maintenir ou non ces usages, dont l’impact sur les habitats benthiques n’est plus à démontrer, dans les futures zones de protection forte.
L'exemple du Dogger Bank
Environ 25000 km² le banc de sable subtidal de Dogger Bank est délimité au large, entre les ZEE britanniques, allemandes, hollandaises et danoises. 18 765 km² sont classés en sites Natura 2000 par l’Allemagne en 2007, par la Hollande en 2009 et par la Grande-Bretagne en 2012.
Ce site exceptionnel est une zone fonctionnelle vitale pour les écosystèmes régionaux, pour la dynamique sédimentaire régionale, c’est une zone de fraie majeure et une zone d’alimentation unique pour l’ensemble de la faune et mégafaune de la mer du nord et de la baltique.
Chaque mesure de conservation proposée par les gestionnaires ont fait l’objet d’une consultation des Etats dont les pêcheries. Ces consultations se sont avérées systématiquement infructueuses. Alors que les objectifs de réduction des pressions étaient fixés à 50 % de la zone en 2009, ils sont tombés à 33 % en 2012, et à moins de 5 % en 2016.
En 2022, le Brexit est officialisé, la Grande-Bretagne a pu mettre en place sur ses eaux une interdiction des arts trainants sur l'ensemble des Dogger Bank britanniques. Cet exemple important montre que si l'Europe a été la source d'importants progrès réalisés sur le continent en matière d'environnement, elle peut également entraver les plus ambitieuses démarches. Le cas du Dogger Bank peut être une source d'inspiration pour trouver une solution efficace pour la protection des sites Natura 2000 au large.
La communication et la sensibilisation
Le programme Guisma a ainsi pu être présenté aux nombreux gestionnaires présents, et désireux de profiter de ces résultats sources de progrès en matière de sensibilisation. Les gestionnaires, non professionnels de la communication ou de la sensibilisation, ont en effet souvent engagé des actions mal calibrées, et n’atteignant pas de fait leurs cibles. Les résultats partagés ont ouvert des pistes de valorisation et de coopération qui devraient permettre d’améliorer significativement l’efficacité des actions de sensibilisation au service de la gestion et de la conservation des patrimoines naturels marins.
Cette application d’accompagnement des plaisanciers dans leur pratique de la mer et leur découverte de ses richesses biologiques, est en effet étendue à l’ensemble du territoire métropolitain plus la Guadeloupe, après un test très positif sur la Bretagne depuis deux ans. Les milliers de points d’intérêt environnementaux enregistrés par les gestionnaires viennent agrémenter les routes de navigation, alors que les périmètres d’AMP rappelleront aux navigants quelques règles minimales à ne pas négliger.
Whytecliff : l'histoire instructive de cette aire marine protégée
Cette AMP est aujourd’hui considérée comme la première aire marine canadienne à avoir bénéficié d’une protection, et encore aujourd’hui l’une des rares zones de protection forte du Canada.
Depuis le début des années 1950, Whytecliff était un lieu de destination pour les chasseurs sous-marins appâtés par l'abondance de morue lingue, de vivaneau rouge et de sébaste. Ce que cette communauté ignorait à l'époque, c'est que certains des poissons harponnés avaient plus de 100 ans et que les attraper signifiait anéantir des générations de poissons.
Dès les années 1970, après deux décennies de pêche excessive, et face à la raréfaction des espèces chassées, plusieurs chasseurs et biologistes s’organisent pour interdire la chasse sous-marine à Whytecliff. En 1985, ce groupe crée la Marine Life Sanctuary Society. Des comités sont formés, des conseils d'administration érigés et de nombreuses réunions ont eu lieu sur la meilleure façon de gérer le problème, mais rien d'officiel n'en sortira pendant des décennies.
En 1993, Richard Paisley, professeur auxiliaire de droit et directeur de la Global Transboundary International Waters Initiative à l'Université de la Colombie-Britannique, aux côtés de la communauté locale, engage une procédure de reconnaissance officielle d’AMP. Mais à l’époque, aucun texte juridique n’offre de cadre pour cela. Quatre ans plus tard, en 1997, le Canada adoptait la Loi sur les océans visant à fournir un cadre complet pour la gestion des océans. Une partie de ce cadre comprenait des lignes directrices pour établir des aires marines protégées. Mais le projet de WhyteCliff n’a pas été reconnu comme AMP : selon John Nightingale, président et chef de la direction de l'Aquarium de Vancouver et membre du groupe qui a travaillé sur Whytecliff dès 1993, le gouvernement a refusé de classer WhyteCliff, ce site n'étant pas assez grand ou assez important pour justifier une démarche administrative lourde.
En 2002, la National Marine Conservation Act est entrée en vigueur, mais cette mesure est rattachée aux parcs nationaux ou aux réserves de parcs nationaux. Il donne à Parcs Canada la capacité de protéger les grands écosystèmes, mais ne prévoit pas de réguler les prélèvements. Ce second outil n’était donc pas pertinent pour Whytecliff. C’est finalement vers le Ministère des pêches (Pêches et Océan) que se tourne le collectif, et obtient le classement du site au titre de la Loi sur les pêches de 1985 et le Règlement sur les secteurs d’exploitation des pêcheries du Pacifique (2007). Ce classement interdit toute pêche et sur une partie plus vaste, tout usage d’art de fonds.
Aujourd’hui, Whytecliff est devenu un site qui a progressivement retrouvé une partie de sa richesse et qui attire un grand nombre de plongeur venus contempler les joyaux naturels du site. Cette activité a généré 12 emplois permanents d’encadrement, de plongée et de surveillance.